Peut-on relier deux points par un chemin injectif ?

Peut-on relier deux points par un chemin injectif ?

Les commentaires du billet un exercice de topologie sur le blog de PB soulevait quelques questions intéressantes. Une parmi elles possède la réponse suivante :

Dans une variété topologique connexe on peut relier tout couple de points distincts par un chemin injectif.

Remarquons que ce résultat ne vaut plus sur des espaces non-séparés comme la droite avec un point dédoublé (une variété topologique est séparée par définition).

Démonstration :

Rappellons d’abord que sur une variété topologique les notions connexe et connexe par arcs sont équivalentes.
Quelques notations : B(r) désigne la boule ouverte de rayon r et de centre 0 dans \(\mathbb{R}^n\) pour la norme euclidienne. Pour noter la boule fermée, on mettra une barre dessus.

Soit M une variété topologique de dimension n et x un point de M. Notons E le sous-ensemble de M constitué de x et de tous les points qu’on peut relier injectivement à x. Notre but est de prouver que E=M. Vu que M est connexe et que E est non-vide, il suffit de montrer que E est ouvert et fermé.

  • Ouvert : Soit y un point arbitraire dans E. Dans l’atlas de la variété M il existe une carte
    \(\varphi\;:\; (U,y) \rightarrow (B(1),0)\).

    • Si \(x\in U\) alors \(U\subset E\) car dans une boule on peut toujours relier injectivement deux points distincts par un segment.
    • Dans l’autre cas où x n’est pas dans U nous posons r=1/2 et nous allons prouver que \(\varphi^{-1}(B(r))\subset E.\) On sait déjà qu’il existe un chemin injectif \(\lambda\::\:[0,1] \rightarrow M\) tel que \(\lambda(0)=x\) et \(\lambda(1)=y\). L’ensemble
      \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) est compact, et comme M est séparé, on déduit qu’il est fermé (voir aussi remarque 2 en bas).

      Par continuité l’image réciproque \(\lambda^{-1}(\varphi^{-1}(\overline{B}(r)))\) est fermé dans [0,1] et possède donc un plus petit élément \(t_0\). On a l’inégalité \(t_0>0\) car \(\lambda(0)=x\not\in U.\)

      Le point \(\varphi(\lambda(t_0))\) ne peut pas être contenu dans la boule ouverte \(B(r)\), sinon \(\varphi(\lambda(t_0-\epsilon))\) le serait également pour \(\epsilon>0\) assez petit, contrairement à la définition de \(t_0\). Donc \(\varphi(\lambda(t_0))\) est sur le bord de la boule \(B(r)\). Par construction on peut relier injectivement \(\lambda(t_0)\) à tout point de \(\varphi^{-1}(B(r))\) sans rencontrer \(\lambda([0,t_0[)\). En juxtaposant ces deux chemins, on relie donc injectivement x à n’importe quel point de \(\varphi^{-1}(B(r)).\) Donc \(\varphi^{-1}(B(r))\) est un voisinage ouvert de y contenu dans E.

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  • Fermé : Nous devons prouver que le complémentaire de E est ouvert. Soit donc y un point arbitraire dans M\E, autrement dit y est un point qui ne peut pas être relié injectivement à x. On prend une carte \(\varphi\;:\; (U,y) \rightarrow (B(1),0)\). Alors on sait déjà que x ne peut pas être dans U. De deux choses l’une :

    • Soit l’ouvert U est une partie de M\E — dans ce cas on a terminé.
    • Soit U n’est pas inclu dans M\E — dans ce cas il existe un point z dans l’intersection \(U\cap E\). Pour \(r=||\varphi(z)||\) on a \(0x à z. L’ensemble

      \(K=\lambda([0,1])\cap\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\)

      est compact car c’est l’intersection d’un compact et d’un fermé. (Pour voir que \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) est fermé on utilise, comme en haut, le fait que M est séparé.)
      Parmi tous les points du compact \(\varphi(K)\) il existe un ayant norme minimale. Nous notons w ce point et \(\lambda(t_0)\) son correspondant sur la variété (toujours via la carte \(\varphi\)). Clairement \(\lambda(t_0)\neq y\). D’une part on a la restriction de \(\lambda\) à \([0,t_0]\) et d’autre part le chemin correspondant au segment [w,0] ; en juxtaposant ces deux chemins injectifs on obtient un chemin de x à y qui, par construction, est injectif. Contradiction, ce cas ne peut pas avoir lieu.

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Remarque 1 :

L’idée de la preuve est de se ramener à l’intuition que nous avons de notre espace usuel. Quand une trajectoire passe de l’extérieur d’une boule à l’intérieur d’une boule, elle doit forcément traverser le bord de la boule, elle coule comme une rivière. Or cela n’est plus vrai dans les espaces non-séparés comme la droite à deux origines dédoublées, 0′ et 0 ». Quand je fais un chemin de 0′ à 0 » alors je rentre directement dans l’intérieur de la boule [-1,1] » sans passer par -1 ou par 1. Le chemin apparait miraculeusement de nul part, il jaillit comme une source…

Il est donc intéressant de voir où la preuve ne fonctionne plus dans cet exemple. Evidemment c’est au moment où on utilise le fait qu’un compact d’un espace séparé est toujours fermé. Sur la droite dédoublée l’ensemble [-1,1] » est compact mais il n’est pas fermé, car son complémentaire \(\:]-\infty,-1[\,\cup\,]1,+\infty[\,\cup\,\{0’\}\:\) n’est pas ouvert.

Remarque 2 :

On est tenté de dire que \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) est fermé comme image réciproque d’un fermé par une application continue. Mais cela serait faux ! En effet, \(\varphi\) est seulement définie sur U et pas sur toute la variété M. On peut donc dire que \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) est un fermé de l’espace U (pour la topologie induite par M), mais de là on ne peut pas conclûre directement qu’il s’agit d’un fermé de M. C’est pourquoi nous devons faire ce détour :

\(\overline{B}(r)\) compact dans B(1),
donc \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) compact dans U,
donc \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) compact dans M,
donc \(\varphi^{-1}(\overline{B}(r))\) fermé dans M (séparé).

3 réponses
  1. JLT
    JLT dit :

    Soit x~y la relation "il existe un chemin injectif de x vers y". Elle est reflexive et symetrique. Si x~y~z, soit f:[a,b] -> M et g:[c,d] -> M des chemins injectifs reliant x a y et y a z respectivement. Soit E={(u,v)/ f(u)=g(v)}. Comme E est compact, pr_1(E) admet un plus petit element s. Soit t tel que f(s)=g(t). En concatenant la restriction de f a [a,s] avec la restriction de g a [t,d], on obtient un chemin injectif de x vers z, donc la relation est une relation d’equivalence.

    Comme tout point x possede un voisinage homeomorphe a R^n, la classe d’equivalence de x contient un voisinage de x, autrement dit les classes d’equivalence sont ouvertes. Comme elles forment une partition de M et que M est connexe, il y a une et une seule classe d’equivalence.

    Répondre
  2. MathOMan
    MathOMan dit :

    Ah oui, c’est beaucoup plus court. Et donc plus beau, car en maths « short is beautiful ».

    Si on n’admet que des chmins définis sur un segment non-réduit à un point, il faut néanmoins modifier légèrement la définition de la relation comme suit : Soit x~y la relation « x=y ou il existe un chemin injectif de x vers y ».

    Répondre

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